«Il n’y a que les fols certains et résolus». Le rôle de la raison, qui «est une touche pleine de fausseté, d’erreur, de faiblesse et de défaillance» (II, XII, A, 541), n’est pas de discerner la vérité, mais de détruire les vérités prétendues afin de les réduire à ce qu’elles sont: de simples opinions. Elle déraisonne lorsqu’elle veut construire. Son rôle, le seul qu’elle puisse, dans son usage théorique, mener à bien, est purement critique, destructeur. Elle s’égare et se fait sophistique lorsqu’elle engage le débat autrement que pour mettre en doute. Les principes d’une philosophie, quelle qu’elle soit, sont essentiellement douteux, puisqu’on peut leur opposer des principes contraires. Comment bâtirait-on du certain sur du douteux? Lorsqu’un philosophe se voit demander raison de ses principes, il ne peut la donner, car il ne peut remonter à l’infini. Or la raison ne se lasse pas de demander le pourquoi, d’interroger, et ainsi va à l’infini. Il suffit donc d’exercer sa raison pour mettre toutes choses en doute. Le doute est l’exercice même de la raison. Le bon usage de la raison et la certitude sont exclusifs l’un de l’autre. (Marcel Conche, 1991, Montaigne et la Philosophie)